Culture

 8 mars : “Journée internationale des femmes” – Les échasseuses, symbole d’évolution

Publié le 08/03/2024

Ce vendredi 8 mars, c’est la « Journée internationale des droits des femmes ». L’objectif de cette journée est de promouvoir l’égalité des genres dans le monde. À tous les niveaux de la société, les femmes et les hommes doivent bénéficier des mêmes chances, des mêmes pouvoirs et des mêmes droits.

À l’occasion de cette journée, la Commission belge francophone et germanophone de l’UNESCO a interviewé les femmes pratiquant les « Joutes sur échasses de Namur », inscrites sur la liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Ces femmes contribuent notamment à faire progresser l’égalité des genres au sein du patrimoine vivant. Elles contribuent également à la transmission d’un patrimoine multiséculaire initialement porté exclusivement par des hommes.

Les joutes sur échasses, une histoire namuroise

Pratiquées depuis six siècles dans la capitale wallonne,  « Les Joutes sur échasses de Namur » sont inscrites au Patrimoine Culturel Immatériel de l’UNESCO depuis décembre 2021. Lors de ces combats, deux compagnies d’échasseuses et d’échasseurs s’affrontent. Les Mélans, aux échasses jaunes et noires, représentent la vieille ville, et les Avresses, aux échasses rouges et blanches, représentent la nouvelle ville et les villages voisins. L’objectif de la joute est de faire tomber l’ensemble des participants adverses. Un jouteur ou une jouteuse qui a chuté ne peut en effet plus remonter sur ses échasses. Dans chaque équipe de maximum 50 joueurs, joueuses, la dernière ou le dernier debout a gagné.

Pendant ces combats, les jouteuses et jouteurs, qui peuvent être âgés de 7 à 70 ans, sont accompagnés du rythme des tambours, des fifres et des encouragements des spectateurs et spectatrices qui viennent soutenir leur équipe favorite. Ce moment festif, qui se déroule dans les rues et places de Namur, est un symbole fort de l’identité de la ville et est considéré comme un facteur de cohésion et d’intégration pour les habitants.

Pour en savoir plus sur cette pratique, consultez notre article sur son histoire.

En tant que patrimoine vivant, celui-ci doit continuer à évoluer et être le reflet de notre société. C’est pourquoi, en septembre 2022, lors des premières joutes suivant l’inscription au patrimoine culturel immatériel de l’Humanité, des joutes féminines ont eu lieu pour la première fois depuis 600 ans, les premières échasseuses se sont alors “affrontées”.

“On se disait qu’on voulait que la première (joute féminine) soit directement marquante et qu’elle emporte immédiatement l’adhésion de tout le monde tout de suite. Elles ont fait comme ça, elles ont fait une première joute où elles étaient une douzaine, la place du théâtre était pleine et ça a permis de créer un mouvement qui nous dépasse tous. Elles sont entrées dans le folklore Namurois en une heure.”

Bertrand Patris – Administrateur en charge de la communication pour l’ASBL “Les échasseurs Namurois”

Les échasseuses, symbole d’égalité des genres dans le patrimoine

En 2016, dans le cadre de la candidature des joutes de Namur à l’UNESCO, Namuroises et Namurois se rencontrent, et émerge alors l’aspiration de certaines femmes et filles à participer aux joutes. Deux ans plus tard, soucieux de répondre à cette demande et de faire évoluer leur tradition en accord avec la société, les entraînements s’ouvrent alors aux femmes et aux filles. 

En 2022, lors des Fêtes de Wallonie, au cœur de la cité, 13 échasseuses âgées de 11 à 43 ans s’affrontent. Manon Welschen remporte cette joute historique et repart avec « l’échasse de diamant ». En 2023, c’est Lucie Grognard qui remporte l’affrontement.

“J’espère que nous serons de plus en plus nombreuses les prochaines années et qu’on pourra continuer encore longtemps à faire partie du groupe, du patrimoine et à avoir une belle équipe d’échasseuses.”  

Aurélie Fondaire – échasseuse

Entretien avec des échasseuses

Afin de mettre en avant ces femmes qui contribuent à l’égalité des genres dans le patrimoine vivant belge, nous avons décidé de nous entretenir avec Aurélie Fondaire, doyenne des échasseuses, Manon Welschen, lauréate de l’échasse de diamant en 2022 ainsi que Bertrand Patris Administrateur en charge de la communication pour l’ASBL “Les échasseurs Namurois”.

Quel est et quel était votre rapport à la joute sur échasses en tant que femme, mais également en tant que Namuroise ? 

Manon Welschen : 

J’ai commencé quand j’étais petite. J’allais voir les joutes et ça m’a donné envie. J’ai eu envie de monter en échasse parce qu’un ami à moi en faisait et quand on se voyait, il prenait les siennes, et on joutait ensemble. J’aimais bien, j’ai donc décidé d’en faire pour évoluer. 

Aurélie Fondaire : 

En fait, je vais souvent aux fêtes de Wallonie depuis que je suis enfant, parce que mon papa travaille à Namur et que forcément nous allions voir les échasseurs. J’ai vu les joutes place Saint-Aubin depuis petite, j’ai aussi habité quelques années à Namur. J’ai continué au fil des années à les voir et forcément, quand ils ont ouvert aux filles, c’était l’occasion d’y aller. Même si lors de la première ouverture de la participation aux filles, j’étais enceinte, donc je n’ai pas su tout de suite m’engager dans l’aventure. 

Aviez-vous toujours nourri l’envie de participer aux joutes ? Et est-ce que l’interdiction des femmes était un obstacle, ou ne nourrissiez-vous pas réellement cette envie avant l’ouverture ? 

Aurélie Fondaire : 

Personnellement, je m’étais déjà dit : « Si un jour ils ouvrent aux filles, j’essaierai », ça c’est sûr. Mais forcément, on n’en parlait pas à ce moment-là, donc ce n’était pas une possibilité. Mais j’avais déjà dans l’idée que si ça ouvrait aux filles, j’essayerais. 

Manon Welschen : 

Le fait que ce soit fermé me frustrait, mais je me suis dit qu’il fallait un peu attendre et que ça allait finir par ouvrir aux filles. Et effectivement, en attendant un peu, ils ont ouvert aux filles.  

Il fallait aussi qu’il y ait plus de filles pour pouvoir créer un groupe. 

Concernant le processus d’inclusion des femmes dans ce patrimoine vivant, comment ça s’est déroulé ? 

Bertrand Patris : 

Ça a été un processus continu en fait, ce n’est pas simple, ce n’est pas une transformation qui est simple. Il y a plusieurs phases. Une première qui est de prendre la décision interne de faire ce pas. Puis une fois ce pas fait, il y a eu la deuxième étape de constituer un groupe, d’avoir suffisamment de jouteuses pour concrétiser la volonté. Ça n’a pas été simple parce qu’au milieu de ce trajet, il y a eu le Covid. Ça n’a pas été facile. À un moment donné, nous avons même craint que l’initiative allait s’éteindre parce qu’il n’y avait plus beaucoup de candidates jouteuses. Puis post-Covid, nous avons relancé pour maintenant avoir une équipe assez consistante. Le challenge maintenant c’est d’intégrer ces jouteuses dans la vie de l’association pour que l’association elle-même devienne mixte. 

Dans quelques semaines, il y aura une première administratrice au sein des Échasseurs de Namur. Ce sont des étapes qui doivent se faire avec une certaine dose de zen, de vision et de fluidité. Il ne faut braquer personne, il faut que les choses se fassent en douceur. Il y a des avis dans tous les sens, mais au sein des Échasseurs, je n’entends plus personne discuter de la pertinence des joutes féminines. Il y a une association, un groupe qui doit s’adapter à ça et ça a pris 3-4 ans pour arriver à la première joute. Ça va prendre, à mon avis, 2-3 ans pour arriver à l’unification de l’association, mais nous y sommes quasiment. 

Aurélie Fondaire : 

On est vraiment intégrées au groupe, c’est progressif évidemment, mais à chaque étape, ça avance. Il nous faut des nouveaux costumes, des échasses, c’est réfléchi, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Manon était une des premières à s’entraîner, mais il a fallu le temps qu’il y ait un groupe assez important de femmes pour faire les joutes. Ça prend du temps, mais ça se met en place. Nous sommes de plus en plus intégrées au groupe, et ça c’est bien. 

C’est vrai que nous, on aimerait bien toujours aller peut-être plus vite parce qu’on a envie, mais on est tenu par des organisations et il faut que ça se fasse dans le groupe, qu’on s’intègre. 

Manon Welschen: 

Moi, je trouve que nous sommes bien intégrées. Par exemple, pour les costumes, on a fait ça avec les garçons. On a fait ça pour que ça nous ressemble, pour que le costume nous ressemble, qu’il soit moderne. 

Quelle est votre vision sur cette participation en tant que femme et plus globalement sur l’impact que ça peut avoir dans l’égalité des genres au sein de tous les aspects de la société ? Est-ce un acte féministe de votre part ? 

Aurélie Fondaire : 

Pour moi, oui, j’ai vécu dans une famille où nous étions 3 filles et j’ai moi-même 2 filles, donc je trouvais important que les femmes puissent s’intégrer à un groupe folklorique masculin et avoir la possibilité de montrer que oui, les filles peuvent le faire aussi. Même si c’est un sport un peu de combat qui peut sembler violent. 

Pour moi, c’était aussi un moyen de m’intégrer dans le folklore pour que les filles puissent s’intégrer et participer comme les autres. J’ai ma grande fille de 7 ans qui a commencé les entraînements et je suis fière. 

Manon Welschen : 

Moi, j’ai cette volonté, il faut que tout soit ouvert aux femmes, tous les sports. 

Dans les joutes, le public joue un rôle important dans l’ambiance du patrimoine. Comment les joutes féminines ont été accueillies par les spectateurs et spectatrices ? 

Manon Welschen : 

Il y a toujours eu beaucoup de gens même à la première joute, qui sont venus supporter. Cette année, il y en avait encore plus. Les gens sont contents de voir les joutes. 

Aurélie Fondaire : 

Oui, même quand on défile, on entend les Namurois qui sont contents, qui disent “bravo les filles”, qui nous encouragent. Dès le début, ça a bien été, à la deuxième joute nous avons dû augmenter l’aire de jeu parce que c’était juste la première fois, c’était encore mieux. 

Puis nous, nous étions meilleures techniquement la deuxième fois et ça va évoluer comme ça pour les prochaines. 

Bertrand Patris: 

Nous avions deux manières d’aborder la première joute des dames. C’était de se dire, elles sont 5-6, on fait un petit truc dans un coin et on y va plus vite. Ou alors on se disait qu’on voulait que la première soit directement marquante et qu’elle emporte immédiatement l’adhésion de tout le monde tout de suite. 

Elles ont fait comme ça, elles ont fait une première joute où elles étaient une douzaine, la place du théâtre était pleine et ça a permis de créer un mouvement qui nous dépasse tous. Elles sont entrées dans le folklore Namurois en une heure. 

Je me rappelle quand elles sont allées retrouver les hommes à l’endroit où il y a 600 ans les joutes ont été interdites, le long du trajet les gens applaudissaient, pleuraient, c’était très émouvant. L’adhésion du public namurois a été à la minute et même sur les réseaux sociaux, nous n’avons pas vu un seul commentaire négatif concernant cette inclusion. 

Aurélie Fondaire : 

J’espère que nous serons de plus en plus nombreuses les prochaines années et qu’on pourra continuer encore longtemps à faire partie du groupe, du patrimoine et à avoir une belle équipe d’échasseuses. can